Sur les traces des Goncourt, lectures lycéennes

Sur les traces des Goncourt, lectures lycéennes

Les élèves de 1ère L/ES face à Carole Martinez

Jeudi 16 mai, nous avons rencontré Carole Martinez au lycée. Nous avions lu Le Cœur cousu, certains d'entre nous ont lu aussi Du Domaine des murmures et nous étions donc ravis de discuter avec la créatrice de Frasquita, d'Esclarmonde et des autres.
Dans un premier temps, Carole Martinez se présente et nous dit qu’elle a l'impression d'avoir accompli son rêve, et aussi une sorte d'exploit, car seulement une soixantaine d'écrivains français vivent de leurs œuvres. Elle confie qu'elle a toujours aimé écrire des histoires. De plus, nous savons maintenant que son métier a été professeur de lettres en collège, qu'elle qualifie de « métier de passion ». Cependant, ce métier ne lui laissait pas le temps ni la solitude nécessaire pour écrire, car ajoute-t-elle, même le week-end, on ramène les élèves à la maison. C'est pourquoi en dix ans elle n'a réussi à écrire que cent pages de son roman Le Cœur Cousu.
Même si elle n'osait pas dire qu'elle écrivait, elle qualifie l'écriture de partage et force. De force parce qu’on a un sentiment de toute-puissance, on fait ce qu’on veut des personnages, ils obéissent plus que les élèves ( !) et en même temps, ils échappent à leur auteur, ils prennent leur envol et leur sort dépend aussi de ce qu’en disent les premiers lecteurs, le mari, les amis. C'est pour cette raison qu'elle nous a expliqué qu’à certains moments les personnages lui échappent et ce qui devait arriver se transforme. Par exemple, Pedro el Rojo devait mourir de son dernier combat (dans le chapitre « le chef-d'œuvre») ; cependant, nous pouvons constater à la lecture qu'il ne meurt pas et tue son père. Il a survécu au destin que Carole Martinez lui avait préparé. En fait, c’est aussi parce qu’elle aime ce genre de surprises qu’elle écrit.
1) Mais alors, comment a-t-elle franchi le pas ?
A dix-sept ans, elle n'écrivait que des nouvelles, des petites choses parce qu'elles sont, comme elle les a présentées, assez petites pour tenir dans la main, contrairement aux romans qui demandent une véritable motivation d'entreprendre. Elle utilise alors la métaphore de la boule d’argile qui tient entièrement dans la main pour la nouvelle et celle du bloc de marbre qu’on ne voit pas d’un regard, qui est difficile à travailler. Ecrire un roman était alors peu concevable pour elle car cela demande trop de temps : elle déteste la solitude et aime la vie, ce qui ne lui permettait pas d'écrire au mieux puisque l'écriture nécessite de la solitude. Or, il n’y a pas que l’écriture dans la vie.
Elle ajoute alors que l’écriture est une soupape, elle permet de réguler les humeurs : elle se souvient qu’adolescente, elle écrivait lorsqu'elle était furieuse. De ce fait, selon elle, l'écriture est aussi régulée en fonction des sentiments. Elle était aussi capable de rêvasser pendant des heures sans écrire, en devenant l'héroïne de ses rêvasseries ; cependant encore une fois selon elle, l'écriture d’un roman nécessite de la maturité pour créer des personnages autres qu’elle-même. Ce qui l'a aussi aidé à écrire, c'est le fait qu'elle ait fait du théâtre. Le théâtre a aidé l'auteure dans son écriture, ainsi que sa vie personnelle qui lui a permis de se créer une bibliothèque de sensations en prêtant attention aux émotions qui la traversaient en diverses occasions.
En outre, Carole Martinez pense qu'un certain aspect de l'écriture est puisé dans les racines puisqu'une femme lui a dit ,après avoir lu seulement quelques pages, qu'elle écrivait comme une Sud-Américaine ou une Africaine du Nord. Elle avait vingt-quatre ans et ce compliment a été un déclic pour elle : c'est comme si elle avait le don de l'écriture dans la chair, puisque cette femme qui ne savait absolument pas d'où ses ancêtres venaient, avait décelé dans ses écrits un style qui les rappelait. De ce fait, elle travailla beaucoup sur les origines, et sur Frasquita Carasco, cette pauvre femme au destin tragique dont elle avait tant entendu parler par sa grand-mère. Et c’est ainsi qu’elle entreprit l’écriture du Cœur cousu.
2) y-a-t-elle cru quand elle a déposé le manuscrit ?
Elle avait pour habitude de lire à ses amis que ce soit en public ou téléphone ce qu'elle avait écrit pour se donner un aperçu de la qualité de son histoire. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle rencontra son mari et c’est lui ensuite qui la poussa à écrire, et à prendre une année de disponibilité pour s'y consacrer entièrement. L’année s’est écoulée et Carole Martinez n’avait écrit que trois cents pages, soit les deux tiers de son roman. Mais son mari a insisté pour qu’elle le déposât chez Gallimard, elle n'y croyait pas vraiment puisque c'était une grande maison d’édition, mais en même temps, elle voulait y croire puisque c'était un de ses rêves qui devenait réalité.
En septembre, elle a reçu un appel de chez Gallimard, de Jean-Marie Laclavetine plus précisément qui lui a appris que son roman était retenu à l’unanimité en comité de lecture. Elle le rencontre chez Gallimard, il lui accorde un délai de trois mois pour finir l'écriture de son livre qui à l'époque s'appelait «La traversée», délai qu’elle dépasse bien évidemment. Et quand elle le recontacte, il ne se souvient plus du livre ! Heureusement, elle lui rappelle ce que racontent les pages que le comité de lecture a aimées quelques mois plus tôt, il se souvient de tout et le livre est édité. Un changement lui est suggéré, celui du titre : on lui propose Le Cœur cousu qu’elle accepte.
3) Pourquoi la fille de Frasquita a-t-elle été choisie comme narratrice au lieu de Frasquita elle-même ?
Frasquita Carasco, en vrai, est une femme qui est morte dans la misère après s'être enfuie d’Andalousie jusqu’au Maghreb. En vrai, elle n’a pas de talent, n’a pas été couturière et n’a pas survécu de l’autre côté de la Méditerranée. Mais Carole Martinez voulait la rendre héroïque, car c’est de cette façon que sa grand-mère en parlait. Elle la transforme donc en couturière plus que douée, magicienne qui sait ce qu’elle veut et pas seulement victime.
C’est en cours d’ancien français qu’elle a décidé en partie de la tournure que prendrait ce roman : les mots « texte » et « textile » ont la même origine, tous deux ont une trame et cette découverte faite dans un cours que paradoxalement elle détestait, un cours d’ancien français, l’a fascinée et éclairée. Or, le textile s'avère être le matériau réservé aux femmes, l’un des rares matériaux que les hommes leur ont laissés ; les hommes ont eu la pierre, le bois, le texte. Frasquita Carasco ne savait ni lire, ni écrire ; elle est donc devenue le côté textile tandis que sa fille représentait le côté texte. Et cette évolution de la mère à la fille rend compte d’une histoire des femmes qui ont conquis peu à peu d’autres matériaux que ceux qu’on leur laissait autrefois. Frasquita ne pouvait donc pas être narratrice.
Et on pourrait ajouter ici une troisième femme, la sœur aînée, Anita, celle qui élève Soledad, a le don de conter. Ainsi on a d’abord l’héroïne fascinante à l’origine de toute l’histoire, celle qui a le textile pour matériau, Frasquita. Puis on trouve celle qui conte les histoires et qui rappelle la grand-mère de Carole Martinez, grande conteuse qui la nourrit d’histoires familiales dans sa minuscule loge de concierge du boulevard Montparnasse. Enfin vient Soledad, la plus jeune des filles, celle qui a le don de l’écriture, comme Carole Martinez elle-même. C’est la lignée des femmes de la famille Carasco-Martinez qui est condensée en deux générations dans Le Cœur cousu. Ainsi Carole Martinez préfère que ce soit la fille qui soit la narratrice de l'ouvrage, pour montrer l'évolution de la femme, de celles qui ne savaient pas écrire à celles qui ont su transmettre les histoires, apprendre à lire et à même à les écrire.
Mais Le Cœur cousu, c’est aussi l’histoire d’un amour filial : Soledad a reconstruit sa mère autour d’un texte pour obtenir ce baiser qu’elle a n’a jamais eu. Ainsi, la boîte transmise de génération en génération est une métaphore des 'trésors' familiaux transmis par les parents à leurs enfants, trésor matériels, mais surtout immatériels. Frasquita avait le don de tisser des textiles, Soledad a celui de tisser des textes. Elle sait « tramer » comme sa mère. Selon Carole Martinez, « il y a un roman dans chaque histoire de famille». Chaque histoire de famille peut être un conte réinventé comme Le Cœur cousu l'a été pour elle.
4) Carole Martinez s'identifie-t-elle à Soledad ?
«Soledad » est tout d'abord un mot espagnol signifiant «solitude », le contraire de ce qu'est Carole Martinez. Cependant elle explique que dans chacun de ses personnages, elle laisse une petite partie d'elle. Elle les a créés à partir d’elle-même, mais aussi parfois, à partir de ses proches. Et curieusement, les gens dont elle s'inspire ne se reconnaissent jamais dans les bons personnages. Par exemple, José Carasco qui s’enferme dans le poulailler souffre en fait d’une dépression ; elle dit ce que signifie être dépressif d’une manière métaphorique. Pour ce personnage dans cet état, elle s’est inspirée d'un de ses amis qui a fait une grande dépression et qui ne s’est jamais reconnu dans ce pauvre José. Donc, elle-même ne s'identifie pas particulièrement à Soledad. Ses personnages sont faits d’un peu d’elle-même, un peu des autres, de beaucoup d’imagination.
5) Les corps sont violentés dans Le Cœur cousu : y-t-il une dénonciation de la violence infligée aux corps ?
Pour elle, il n'y a aucune dénonciation de la violence, elle aime simplement faire mal à ses personnages, elle aime le corps, ses violences et sa sensualité. Elle est avide du corps et dit même que « on écrit avec son sexe, avec tout ». Le corps explique tant de choses. Et elle raconte comment les femmes ont vécu leurs périodes de règles pendant des siècles.
6) Pourquoi utilise-t-elle le merveilleux ?
Carole Martinez adore les contes puisqu'ils ont le mérite d'être modestes, riches et séduisants aux yeux des enfants, vieillards et adultes. De plus elle est issue d'une tradition merveilleuse orale. C'est sa grand-mère qui l'a poussée à écrire pour conserver le pouvoir des origines ; cette femme qui était concierge à Paris était aussi comme une sorte de sorcière guérisseuse qui murmurait des prières en espagnol, une sorte de magicienne, comme on peut le voir dans les contes : elle guérissait avec les mots. Ainsi Carole Martinez a tendance à croire au merveilleux.
Nous avons appris aussi que le lecteur peut aider l'auteur, il est en quelque sorte l'un des créateurs de l'oeuvre. Ainsi, l'un d'eux a éclairé le titre de COEUR COUSU, que Carole Martinez voulait à l'origine intituler LA TRAVERSEE : la tradition du cœur cousu existe bel et bien en Espagne ! Les vieilles femmes à l’approche de la mort cousaient leurs secrets à l’intérieur d’un cœur, sur des bouts de papier, et le donnaient à leur fille. Si ces dernières l’ouvraient, elles étaient maudites. De même, c'est au lecteur de choisir qui est le père de la narratrice, Soledad, puisque l'auteure elle-même ne le sait pas. Peut-être est-ce une autre fuite de personnage, ayant adroitement échappé à la plume de l'écrivaine ?
Sarah, Claire, Margot, Tabatha, Sophie et Manon - 1ère L/ES


29/05/2013
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